22 novembre 2008

Deportación

C’est le désarroi, le sentiment d’inutilité dans sa toute puissance, je me sens groguie, étourdie, bouleversée par ce que nous avons vécu ce matin. Je devais accompagner deux français qui réalisent un reportage sur la frontière, à Feryé, en Haïti, où ils allaient filmer des haïtiens traversant la rivière sur des chambres à air, pour rejoindre la RD.  La pluie faisant, le périple semblait impossible à réaliser mais le rdv était pris avec le chauffeur et il fallait se rendre à la frontière … là, c’était autre chose qui nous attendait: Un camion rempli d’haïtien, 93, hommes, femmes et enfants, prêts à être rapatriés, déportés comme ils disent ici, pour avoir été trouvés sur le territoire dominicain sans papier. 

La plupart d’entre eux s’étaient embarqués à bord d’un camion, pour 4000 pesos par personne (100 €), dont le chauffeur aurait pris le fuite, avec tout l’argent évidemment, les laissant aux mains des militaires, qui se chargèrent apparemment rapidement de les dépouiller du peu qu’il leur restait. Sans papier, sans argent, sans chaussures pour certains, le ventre vide, sans nulle part où aller parce ce que j’oublie de signaler qu’ils viennent de Jakmel, à 12h de Wanament…. Vous imaginez le tableau ! Non, vous ne pouvez pas, c’est terrible ! Du côté dominicain, les agents de la migration les ont compté, ont pris leurs noms et les ont ensuite accompagnés jusqu’à la frontière, sans jamais se soucier de leur sort une fois passé le pont.

Sans violence non plus, du moins physique … mais en leur parlant un mauvais créole, en les appelant tous “haitioano”, sans distinction de genre ou d’âge, et en les regardant comme des criminels sans nom. Leurs seuls crimes: avoir préféré dépenser leurs 4000 pesos à payer un passeur plutôt que s’être fait faire un passeport et un visa, avoir eu l’espoir de vivre mieux de l’autre côté de la frontière, où en tout cas, de souffrir ailleurs qu’en Haïti, être noir aussi certainement et haïtien évidemment. Du côté haïtien, personne pour les accueillir, ni militaire (les casques bleus sont là mais pas pour ça … on se demande pourquoi d’ailleurs car il ne me semble pas avoir senti quelconque tension à la frontière, en tout cas de nature à requérir l’intervention des forces de l’ONU…?), ni autorité de la migration. Ces gens sont donc restés groupés, d’abord sous un arbre, puis plus loin, sans savoir quoi faire, où aller…  livrés à eux-mêmes dans leur pays, mais loin de leur point de départ et aussi loin de leur point d’arrivée. Aucun centre d’accueil non plus et ce alors qu’environ 3000 haïtiens sont ainsi déportés par an, dans les mêmes conditions… Par chance un des membres du personnel de Solidarité Frontalier était présent pour aider nos reporters français, il a donc pu contacter le responsable de communication (chargé de dénoncer les manœuvres pas très nettes des militaires) et les pères jésuites de Solidaridad Fronteriza afin que d’une part, les effets « confisqués » par les militaires soient restitués à leurs propriétaires, et que d’autre part, certains des haïtiens (6) soient pris en charge. Pourquoi certains, parce que l’aide prodiguée par ces associations requiert certaines conditions, et notamment celle de  d’avoir passé au moins 3 mois sur le territoire dominicain (et avoir donc déjà commencé à construire une vie ici…)… 

On peut s’interroger sur ces conditions, sur l’absence d’autre type d’assistance directe, sur le rôle des ONGs à la frontière, celui des Nations Unies, mais ce qui a suscité le plus de questions chez moi, c’est mon rôle à moi, qui ait passé quelques heures à côté de ces personnes, spectatrice de la scène, paralysée face à ces gens parqués comme des bêtes dans un camion, face à ces enfants, ces femmes, ces hommes au regard grave, tantôt révoltés, tantôt résignés, tantôt chargé de rage ou de tristesse mais un regard qui en dit long sur ce qu’ils vivent. Que devais-je faire ? Que pouvais-je faire ? Je me sentais voyeuse, impuissante, inutile, voire insultante vu ce que je dois représenter à leurs yeux … Leur payer à boire, qqch à manger, aider une petite mamy a porter un sac plus gros qu’elle, être à leurs côtés et essayer de voir qui pouvait les aider, voilà tout ce que j’ai pu faire … Aurais-je dû faire plus ? Aurais-je pu faire plus ? Sans doute mais je m’en suis trouvée incapable à ce moment tellement j’étais bouleversée et tellement mes questions ne trouvaient pas de réponses immédiates … Je peux vous assurer que c’est le cœur très lourd et le regard perdu que j’ai repassé la frontière pour retrouver le « confort » de la vie dominicaine. A ce que nous savons, certains ont pu rejoindre Jakmel, d’autres ont sans aucun doute retenté leur chance de passer la frontière, d’autres errent peut être toujours à Wanement en cherchant désespérément à trouver le moyen ou de rentrer chez eux, ou de repasser la frontière …

Images de cette journée un peu spéciale à visionner dès que le docu de Séb & Yan sera monté !

12 novembre 2008

A lire sur Volens America

14/10/2008  Republica Dominicana

Stagiaire en immersion : Sarah Grandfils

La région AMCA a eu l’honneur de voir arriver, il y a une dizaine de jours, la deuxième stagiaire d’immersion. Sarah Grandfils, une jeune femme belge de 29 ans, est en effet venue rejoindre notre "famille" pour collaborer avec le Centro Puente, dans le nord de la République Dominicaine, pendant les 3 prochains mois.

Ici un petit interview avec Sarah, qui parle de ses premières impressions de sa nouvelle expérience comme stagiaire-coopérante.

6 novembre 2008

Depêche : CESFRONT mata joven haitiano en las rivera del Masacre


Noviembre 06, 2008

CESFRONT abat un jeune haïtien sur les rives de la rivière Massacre*

Pour vous résumer les faits brièvement : Hier, un jeune haïtien âgé de 18 ans à peine a été abattu d’une balle dans la poitrine par un militaire de Cesfront (la milice frontalière dont je vous ai déjà parlé). Les faits se seraient déroulés à l’occasion d’une dispute entre les deux hommes concernant des « taxes » perçues par le jeune homme, au passage de ses compatriotes par la rivière, « taxes » dont il n’aurait pas entièrement retourné le produit à ce milicien véreux …  Ce dernier est actuellement derrière les barreaux.

Voilà donc un bel exemple de ce qui se passe à la frontière, de la corruption, de la violence (pas souvent perceptible par nous mais bien par les haïtiens) et de là où cela mène…

La frontière est paraît-il fermée depuis lors, les dominicains craignant des représailles de la part des haïtiens… Je dis « il paraît », car je suis loin de Dajabon en ce moment mais le climat ne doit pas être à la fête. J’imagine que les casques bleus de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) ont renforcés leurs rangs du côté haïtiens et que les militaires dominicains sont sur leurs gardes. 

Je rentre lundi soir, je vous en dirai plus à ce moment là !  

* Rivière qui sépare Dajabon, RD, de Ouanaminthe, Haïti – dénommée comme cela depuis le massacre des haïtiens ordonné par Trujillo en 1937

5 novembre 2008

Un mois déjà ...

A l’exception d’une petite poignée de privilégiés, je vous ai laissé sans nouvelle depuis quelque temps mais pas d’inquiétude à avoir, tout se passe toujours aussi bien sous le soleil de Dajabon !

Je vous prépare un article sur la frontière qui n’attend plus, pour être finalisé, que mon passage del otro lado del rio, en Haïti,  afin que je puisse réellement vous relater ce qui se passe ici dans cette partie du pays où coexistent 3 cultures : la dominicaine, l’haïtienne et la frontalière.

Mon stage au Centro Puente suit son cours. Je me suis résolue à me passer d’une quelconque planification de mes tâches, lesquelles ne sont d’ailleurs pas définies de façon très claire non plus. J’avance donc pas à pas, au gré de ce qu’on sollicite de moi, au gré des réunions auxquelles j’assiste, qui me permettent d’appréhender de mieux en mieux la réalité de cette région, des rencontres, des visites, qui revêtent la majorité du temps un caractère binational, des initiatives que j’essaye parfois d’insuffler sans jamais rien imposer, de la formation en droits de l’homme que je suis, des cours de kreyol ak Madamn Monik (il y a encore des progrès à faire mais je parviens déjà à me faire comprendre… les comprendre, par contre là, c’est autre bagay)… J’appuye Marie quand elle a besoin de moi ainsi que les coopérants de Volens, quand ils ont besoin d’un support en français à destination d’Haïti. J’ai la chance également de pouvoir profiter d’une formation organisée par Volens pour ses coopérants…à laquelle je pars actuellement (je vous écris depuis le bus qui m’emmène à la capitale !).

J’accumule donc les découvertes, les expériences, j’observe, je sens, je vis avec le Centro, les gens qui y travaillent, les enfants (limpia botas) qui passent s’y reposer, boire de l’eau ou jouer, les  femmes du marché, la petite madame qui lave mon linge (Telma), nos voisins qui tiennent l’épicerie d’en face (Juana et Tito), les autres coopérants, le personnel local des ONGS et institutions que je fréquent … tous ces gens qui rendent l’expérience encore plus riche et qui m’en apprennent chaque jour davantage.

Une fois qu’on a réussi à mettre de côté notre vilaine tendance à vouloir à tout prix agir, atteindre des objectifs, obtenir des résultats, le plus vite possible, le plus efficacement possible, et qu’on se concentre sur le chemin que la population bénéficiaire à laquelle on est venu donner notre appui, suit, à son propre rythme, l’expérience prend une autre dimension ! Il faudrait bien plus de temps pour passer à l’étape de réalisation, temps dont je ne dispose précisément pas (à mon grand regret). Plutôt que de me fixer des objectifs inatteignables en moins de trois mois, je préfère donc me concentrer sur ce que je suis venue faire ici : m’immerger ! Et si au passage, je peux réaliser l’une ou l’autre chose, ce sera tout bénéf ! En attendant, je m’immerge donc, à fond, et croyez-moi, j’aime vraiment cela !

D’un autre côté, il y la vie ne dehors du Centro qui n’est pas désagréable non plus … mes soirs de semaines, parfois tranquilles : cuisine, lecture, petit film ; parfois plus divertissants : partie de billard ou de domino, petit verre entre potes, sur la terrasse ou dans un bar. Quant aux week end, ils sont rythmés non seulement de bachata et de merengue mais également d’escapades hors du bruit de Dajabon, à la mer ou à la campagne, depuis quelques week end, avec toujours au moins deux acolytes québécois, vous l’aurez sans doute constaté en regardant mes photos… La combinaison Belgique-Québec, certainement très drôle à écouter pour un français, est ma foi assez bonne quand il s’agit de savoir faire la fête et de profiter des choses de la vie.

Je vous ai d’ailleurs concocté un petit reportage photos mettant en scène Carl, l’un des chercheurs d’Or, en plein travail, dans la région de Restauracion où ils creusent, segmentent, marquent, forent, prélèvent, analysent, établissent des profils géologiques, et font encore bien d’autres choses étranges à mes yeux…

Le temps est donc au beau fixe ici en RD! A Hong Kong, par contre, la tempête (financière) fait rage,… Heureusement qu’un arc en ciel nommé skype relie quasi quotidiennement ces deux points opposés du globe pour nous permettre de partager nos expériences respectives …