27 avril 2009

Dajabón, 3 mois plus tard

Plus la distance qui me rapprochait de Dajabón diminuait, plus nous avancions vers la frontière et plus mon sourire s’agrandissait. Je ressentais une telle joie à l’idée de retourner là-bas, de retrouver les amis, voisins, connaissances, de reprendre le cours de cette vie frontalière l’espace de quelques semaines, de me replonger dans le quotidien dajabonero qui, quoique pas toujours facile à vivre, m’avait apporté tant de sérénité durant les 3 mois que j’y ai passé. L’accueil, mes amis, l’accueil qu’ils m’ont réservé, c’était bon !!! Quand ils m’ont revu, les yeux se sont écarquillés, les sourires ont illuminé leurs visages et les bras se sont ouverts sur de franches embrassades et des « aï Sarita, como tu ‘ta muchacha, cuando llegaste, cuando tiempo vas a durar aqui ». On revient rarement ici apparemment. Les étrangers y restent un temps, font ce qu’ils ont à faire et puis s’en vont, sans jamais revenir. « Mes » p’tits mouns aussi étaient ravis de me revoir. Malheureusement, je n’ai pas autant de temps que la dernière fois à leur consacrer mais les croiser dans la rue, leur serrer la pince et leur décrocher un « kouman w ye » accompagné d’un sourire qu’ils me rendent dans sa version la plus sincère est déjà un bonheur ! J’ai retrouvé mes potes aussi, Paola, chez qui je vis, Virginia, Apo, Vie de Dieu, Cécile, MarieJo, François … pour des fêtes endiablées autant que pour refaire le monde, un verre du brugal ou un mate à la main … ah que c’est bon !

Alors, quelles sont les nouvelles à Dajabón ? Qu’est-ce qui a changé depuis janvier ? Pas grand chose à vrai dire. Quelques constructions ont poussé de-ci de-là (au mépris des normes urbanistiques que Virginia essaye d’instaurer), le nouveau marché est couvert (mais les fonds de l’UE sont épuisés, donc pas de murs pour l’instant, ni d’aménagement), une nouvelle équipe du CESFRONT a pris place (et n’est pas encore corrompue semble-t-il, mais jusque quand ?), Algo grande ne s’entend plus 15 fois par jour (mais a évidemment été remplacé par un autre tube, merengue cette fois) et nous avons une voiture … enfin un carito digamos ! 

Plus sérieusement maintenant : la direction générale des douanes dominicaine a limité l’exportation de « pépés » (les vêtements de seconde main) en provenance d’Haïti pour de prétendues raisons de contamination. En réalité, il apparaîtrait que les grandes industries de textile dominicaines font pression pour interdire le passage des pépés qui, en étant revendus sur le marché dominicain à bas prix, contribueraient à un manque à gagner important pour eux. Les conséquences de cette limitation se font quant à elles sentir au sein de nombreux ménages frontaliers dominicains qui vivaient exclusivement de la revente de ces textiles de secondes main … l’affaire est entre les mains de la société civile qui se bat dur comme fer. Issue à suivre ! Sinon, mais ce n’est pas une nouvelle puisque la frontière est encore trop souvent le théâtre de ce genre de chose, 160 haïtiens ont été déportés avant hier soir juste avant la fermeture de la frontière, sous la pluie, dans les mêmes circonstances que celles desquelles j’avais été le témoin en novembre dernier : sans accueil à leur retour en Haïti, sans logement, sans nourriture, à des km de chez eux… Ils sont originaires de Jacmel eux aussi, et vivaient dans la région de Puerto Plata depuis un certain temps déjà. Un patron peu scrupuleux les aurait dénoncés aux autorités avant l’échéance de leur paye … Une des situations objet de l’étude que je réalise (voir prochain article) !

A part cela, Dajabón, sigue lo mismo : les dominicains sont toujours ventripotents, ils écoutent toujours leur musique aussi fort, les motos polluent toujours autant l’air que les oreilles, les haïtiens font toujours beaucoup trop de bruit la nuit qui précède le marché en chargeant les camions de fruits ou légumes juste en dessous de ma fenêtre, le coq chante toujours à 2 heures du mat’, les hommes n’ont toujours pas compris qu’avec leur tsssssssssssssssssst ils n’arriveraient nul part, la bière light ne vaut toujours rien, les femmes sont toujours extrêmement préoccupées par leurs ongles et leurs bigoudis, le poulet est toujours frit et les tostones gras mais tellement délicieux ;-)

Plus que 15 jours avant de remonter vers le nord, au pays des caribous, pour aller voir Jo mais aussi Carl et Isaac j’espère (les chercheurs d’or rentrés au pays) … et quelques jours plus tard mon chéri !

Le temps aura passé vite cette fois, un peu trop à mon goût mais quel plaisir d’être revenue ici !


20 avril 2009

Les raras de Jakmel

Avec tout ce que j’avais lu et entendu d’Haïti durant ces trois derniers mois, il fallait que j’y retourne, que je vois davantage que Ounaminthe et Cap Haïtien … Jakmel était la destination de choix pour passer les quelques jours fériés de Pâques auxquels j’avais droit. Après avoir envisagé de voyager à bord d’un hélicoptère de la MINUSTAH de Cap Haïtien à Port-au-Prince, nous nous sommes finalement envolées, Paola, Cécile et moi à bord d’un mini coucou de la Tortug Air pour 25 minutes de vol, jusque là sans encombre.

Port-au-Prince : ville tentaculaire, de béton (pour ce que j’en ai vu), dont les constructions s’étendent des flancs de la montagne –où vivent riches port-au-princiens et expatriés (Pétion-ville)- au fond de la vallée -énorme décharge à ciel ouvert où le moindre caniveau, le moindre ruisseau, le moindre espace laissé entre deux bidonvilles, déborde d’immondices-. Seuls les bus, peinturlurés de couleurs chatoyantes à l’effigie de Barak Obama, du Che, de Bob Marley, Nelson Mandela, Martin Luther King ou autre joueur de foot argentin, et les chapeaux et t-shirts ultra colorés des haïtien(nne)s contrastent avec le gris et les fatras. 

Nous n’y avons fait qu’un bref passage, heureusement, avant de nous embarquer à bord de la jeep d’Emmanuel, un ami de Cécile et Ilse & Edris, le couple belgo-haïtien, chez qui nous allions passer le week end. Que d’aventures chaque fois que je mets le pied sur le sol haïtien : 2,5 heures pour sortir de P-au-P tellement le « blokis » était horrible, un route de montagne sinueuse, une carrière, de la poussière et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire BOUM, accident ! Grâce à Dieu (comme ils le diraient ici et là bas …), rien de cassé, enfin si, le pare-brise, le pare-choc, qq bleus, une arcade sourcilière en sang et trois points de suture pour Paola … Mais tout cela n’est rien au regard de la peur que nous avons ressentie à de multiples reprises lors de la descente, dans la montagne, à la nuit tombée, durant les 35 km qui nous restaient à parcourir pour atteindre Jakmel, à bord de cette jeep cabossée, à laquelle il ne restait plus qu’un seul phare viable et un conducteur choqué et macho qui refusait obstinément de nous laisser le volant ! Je crois avoir passé 2 heures à répéter « a dwat, dousman, stooooooop » !!! Pour finir par m’énerver un bon coup lorsque ce malheureux qui nous avait déjà fichu dans le décor voulut dépasser un camion en plein virage ! Enfin, disons que « tout est bien qui fini bien », nous sommes vivantes et avons, après cela, passé un très agréable week end à Jakmel. Paola ne gardera même pas trace de ces point localisés en plein sourcil et merveilleusement réalisés par un médecin haïtien ayant étudié à Cuba.
Jakmel : jolie petite ville de la côte caraïbe, aux demeures coloniales abandonnées, décolorées, décrépies ou reconverties en hôtels ou galerie, où règne une ambiance paisible propice à la création artistique haïtienne. Un endroit qui, il y a encore quelques années paraît-il, était resplendissant et visité par de nombreux touristes. L’atmosphère romantique et la volupté d’antan planent toujours sur le Ja
kmel de René Depestre (Hadriana dans tous mes rêves) mais la ville est quelque peu désertée et défraîchie, laissant juste le souvenir d’un autre temps parcourir ses rues.

Week end de Pâques oblige, nous avons rencontré sur notre route, nombre de raras, processions mi-carnavalesque, mi-vaudou, mêlant costumes ultra-colorés, musique, rituels, figures symboliques et religieuses, à un rythme tribal célébrant le retour du printemps. …. Les images parlent d’elles-mêmes !

A venir ...

Un week end riche en émotions donc, en découvertes et en échanges culturels où se mêlèrent espagnol, français, créole évidemment et même flamand puisque notre hôte est originaire du nord du pays. Un bon mixe pour une bonne recette, l’accident en moins évidemment ! Et une envie encore plus intense de retourner en Haïti pour y passer encore plus de temps à découvrir ce pays si particulier et si attachant! 

5 avril 2009

Session extraordinaire de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme à Santo Domingo


J’ai eu la chance cette semaine d’arriver à temps pour pouvoir assister à un séminaire ainsi qu’à une audience de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (le pendant de notre Cour européenne des droits de l’homme).


Il s’agit donc d’une institution judiciaire autonome de l’Organisation des Etats américains dont l’objectif est l’application et l’interprétation de la Convention Américaine des Droits de l’Homme et d’autres traités en la matière. Elle fut établie en 1979 et est composée de juristes élus à titre personnel pour leur autorité morale et leurs compétences reconnues en matière de droits de l’homme.

A l’heure actuelle, 25 pays américains ont ratifié ou ont décidé d’adhérer à la Convention Américaine des Droits de l’Homme : Argentine, Barbades, Bolivie, Brésil, Colombie, Costa Rica, Chili, Dominique, Equateur, El Salvador, Grenadines, Guatemala, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panamá, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Suriname, Trinidad y Tobago, Uruguay et Venezuela. Vous noterez au passage que les Etats-Unis et le Canada ne font pas partie des états cités … je vous laisse en tirer les conclusions que vous voulez !

Les sessions ordinaires de la cour se tiennent à San José de Costa Rica et celle-ci bouge pour des sessions extraordinaires comme celle à laquelle j’ai pu assister, ici à la Cour Suprême de Saint Domingue.

Une des affaires traitées cette semaine par la Cour était le cas de Kenneth Ney Anzualdo Castro contre le Pérou. L’état péruvien est en effet soupçonné d’être responsable de la disparition de cet homme, étudiant à l’époque, organisée par des agents de l’état à partir du 16 décembre 1993 (durant le régime de Fujimori), sans que jusqu’ici l’endroit et les circonstances de sa disparition soient connus, que la perte subie par la famille soit réparée, que l’absence d’enquête sur les faits soit reconnue, jugée et les responsables sanctionnés.

Je vous passe les détails mais c’était extrêmement intéressant d’assister à cette audience publique, d’entendre le plaidoyer de la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme (jouant le rôle de ministère publique), des organisations représentantes des victimes, et des avocats de l’état péruvien. J’ai malheureusement manqué le témoignage des victimes mais il avait l’air édifiant.

Une expérience de plus à mettre dans mon sac à dos ! 

1 avril 2009

Au boulot !

Aussitôt arrivée, aussitôt dans le vif du sujet. Après avoir délimité le cadre générale du travail et quelques objectifs encore à préciser, les premières interviews ont commencé. Secrétariat d'Etat du Travail, de l'agriculture, des relations extérieures, ambassade d'Haïti. Me voilà donc partie, mon petite carnet sous le bras, à la conquête des différents ministères, passant d'un bureau à l'autre, d'un secrétaire à un directeur, d'un étage à l'autre, d'un département à un autre, en quête d'informations officielles, de données à analyser, à approfondir, à mettre en question ... prétextant un travail réalisé dans le cadre de mes études à l'université de Bruxelles ("où ça ? en Belgique ? ahhh bien"... mais on voit bien dans les yeux de certains qu'ils ne voient absolument pas où peut bien se trouver ce pays d'où je prétends venir). Attention à ne pas arriver avec ses gros sabots - droits de l'homme, main d'oeuvre haïtienne illégale, sont évidemment à bannir de ma présentation mais les portes s'ouvrent à la petite étrangère. Les interlocuteurs sont parfois loquaces, parfois prudents mais les infos se récoltent. Premier constant (qui sous-tend l'étude évidemment) : les règles existent mais elles ne sont pas respectées, personne ne le nie vraiment, certains en font même l'aveu un peu gênés, mais l'irrespect ne trouve aucune justification officielle. La main d'oeuvre haïtienne est abondante, surtout dans le secteur agricole et de la construction, non enregistrée officiellement, l'obtention de permis de travail est rare et le visa touristique, lorsqu'il est détenu, considéré comme suffisant par les autorités migratoire pour justifier du séjour dans le pays, du moins, tant qu'ils jugent bon de le tolérer. Celui-ci s'avère cependant souvent cher et difficile à obtenir tellement les démarches sont laborieuses. Résultat : illégalité et exploitation.

L'ambassade haïtienne que j'ai visitée aujourd'hui a retenu toute mon attention ... un lieu qui ressemble à ce que j'ai pu voir du pays : décrépi, vide, sans matériel adéquat et ce alors qu'une rue plus loin les bâtiments administratifs dominicains sont flambant neufs et le nouveau métro ultra moderne ! Les personnes qui m'ont reçue -à bras ouverts- étaient ultra aimables, désireuses de me fournir un maximum d'informations, pour l'essentiel des opinions et rien d'autre, car il n'existe rien, ni accord bilatéral en matière de migration, ni accord de coopération relatif à la mise à disposition de main d'oeuvre haïtienne au profit d'entreprises dominicaines, ni registre, ni statistique. L'officiel rencontré m'a même touchée par sa candeur lorsqu'il m'a dit ne pas comprendre pourquoi la RD se refusait à réguler la situation de ces travailleurs illégaux sur le territoire...

Affaire à suivre ! Retour à Dajabon prévu la semaine prochaine !